Liquidation de TP Ferro (ligne TGV-fret Perpignan-Figueras)
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La faillite de TP Ferro n'est que le dernier accident financier lié à des grands travaux financés par des montages public-privé de plus en plus étranges, destinés à construire de grandes infrastructures malgré une utilité ou une rentabilité parfois incertaines, ou tout simplement à financer une croissance à crédit sans que l'endettement public ne soit trop voyant. Sans parler des cas où il peut y avoir d'autres motivations, moins avouables (telles que favoritisme, corruption, fraude fiscale, mégalomanie, ou incompétence de décideurs dont abusent certaines entreprises). Voici un résumé des épisodes précédents.
15/09/2016: faillite du tunnel TGV-fret Perpignan-Figueras (TP
Ferro)
Ce tunnel international fait partie du projet Paris-Madrid, décidé de longue date par la France et l'Espagne.
Côté français, la LGV s'arrête actuellement à Manduel, mais les TGV peuvent aller jusqu'à Perpignan par la voie classique.
Côté espagnol, il y a une LGV Madrid-Saragosse-Barcelone et de la ligne nouvelle TGV-fret Barcelone-Gérone-Figueras.
Entre les deux, ce tunnel de 40 km sous les Pyrénées (tunnel du Perthus), entre Perpignan et Figueras, est un maillon coûteux. Il a été concédé au secteur privé: la construction et l'exploitation ont été confiées, pendant 50 ans, au consortium «TP Ferro» créé pour l'occasion par les sociétés Eiffage (France) et ACS (Espagne). La société Dragados (Espagne), initialement membre du consortium, a ensuite été absorbée par ACS.
Le coût a été important pour les finances publiques, qui ont apporté 600 M€ au consortium, en plus des 500 M€ environ que TP Ferro a emprunté auprès des banques.
En compensation du retard dans la réalisation de la ligne TGV-fret Barcelone-Figueras, TP Ferro a reçu des dédommagements et un prolongement de 3 ans de sa concession. Mais malgré l'achèvement de cette ligne, le trafic reste très faible (la moitié des TGV prévus, et une infime partie des trains de marchandises prévus), ce qu'on doit pouvoir expliquer ainsi:
- certainement, les estimations de trafic avaient été gonflées
pour forcer la réalisation du projet, comme pour la plupart des
grands projets
- «la crise»: les citoyens pressurés pour renflouer les banques ont moins d'argent pour voyager en TGV
- les péages élevés sur ces voies ferrées: les billets de TGV coûtent bien plus cher que le bus
- plusieurs difficultés qui affectent les trains de
marchandises: le prix du péage, la pente plus forte que via
Cerbère et Portbou, le faible gain qu'apporte l'absence de
changement d'écartement à la frontière s'il faut changer
d'écartement après Barcelone, l'encombrement des voies ferrées
autour de Barcelone, et les questions de signalisation et
d'alimentation électrique
- la concurrence de la route, favorisée par les gouvernements
La liquidation judiciaire de TP Ferro, prononcée le 15 septembre 2016 par le tribunal de commerce de Gérone, n'est pas une surprise: TP Ferro est resté en redressement judiciaire pendant un an, les États ont refusé de renflouer TP Ferro (qui a été débouté d'une demande auprès d'un tribunal arbitral en vue d'obtenir 400 M€ d'argent public), Les banques aussi ont refusé de remettre de l'argent: TP Ferro leur avait proposé une offre fort peu allèchante, de prolonger la concession de 25 ans (donc la porter à 78 ans) et de ne les rembourser qu'à une date extrêmement lointaine.
Dans l'immédiat, les deux États, via SNCF Réseau et ADIF (son équivalent espagnol), reprennent l'activité de TP Ferro afin que le trafic ne soit pas interrompu.
D'ores et déjà, les actionnaires de TP Ferro réclament aux États une indemnisation de 500 M€, mais rien ne dit qu'ils l'obtiendront. Une telle indemnisation serait choquante: cela signifierait qu'en cas d'échec, les États payent la totalité de la facture, mais qu'en cas de succès, les actionnaires empochent les bénéfices, selon le dicton classique «privatisation des bénéfices et nationalisation des déficits».
Le sujet est politiquement chaud en Espagne, car le propriétaire de ACS, Florentino Perez, également propriétaire du club de football Real Madrid, a déjà été indemnisé en 2014 à hauteur de 1,35 milliard d'euros, pour un autre grand projet qui a échoué: le stockage de gaz sous-marin «Castor», sur la côte orientale de l'Espagne, qui a provoqué des séismes anormaux lorsque les essais ont démarré. Alors que les discussions continuent entre les partis politiques pour former une majorité parlementaire en Espagne, il pourrait être risqué pour le gouvernement espagnol d'accepter un tel dédommagement, et il n'est pas certain que la France l'accepterait.
Que la France et l'Espagne doivent ou non indemniser Eiffage et ACS, et qu'une telle indemnisation soit ou non supportée par les dettes de SNCF Réseau et ADIF, il est clair que la ligne Perpignan-Figueras est actuellement loin d'être rentable. Ceci ne va pas améliorer la santé financière de SNCF Réseau, déjà surendetté, ni de ADIF, dont la cour des comptes espagnole (Tribunal de Cuentas) a dénoncé le maquillage des dettes concernant les LGV: ADIF avait minimisé leur coût, dans son bilan, en utilisant un amortissement croissant tout à fait atypique et injustifiable.
Les autres projets ferroviaires financés en public-privé
Cette faillite permet aussi de douter de l'équilibre financier du reste de la ligne, ce qui inclut, pour la France: le CNM (contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier, financé en PPP), la gare TGV de Montpellier-La Mogère (également financée en PPP, avec un actionnaire principal luxembourgeois), la gare TGV de Nîmes-Manduel (en projet mais incertaine, prévue en financement public), et le projet LNMP (ligne nouvelle Montpellier-Perpignan, non encore programmée ni financée).
L'autre projet qui suscite l'inquiétude, c'est la LGV Tours-Bordeaux: financée partiellement par le privé (concession de 50 ans avec le consortium LISEA), on a beaucoup parlé du retrait de certaines collectivités (mécontentes du faible nombre de dessertes TGV), des menaces exprimées par certaines banques (dénonçant l'absence de rentabilité), et des critiques de la SNCF (coût excessif des péages). Pourtant, il est certain que le nombre de TGV entre Tours et Bordeaux sera plutôt élevé.
Pour améliorer la rentabilité de la LGV Tours-Bordeaux, le gouvernement semble décidé à favoriser la construction de la TGV de Bordeaux vers Toulouse et vers l'Espagne (côte basque), dit «GPSO» (grand projet ferroviaire du Sud-Ouest). Ce qui est un calcul risqué, car ce serait une LGV de plus à rembourser et à entretenir, et la rentabilité de la ligne existante, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (dite «POLT»), soit diminuée.
On peut mieux comprendre ces problèmes en lisant le lumineux article d'Yves Crozet (professeur d'économie, ancien administrateur de RFF, aujourd'hui SNCF Réseau), qui explique que la faillite n'est pas un accident mais une hypothèse prévue dès le départ, et qui explique cette fuite en avant du gouvernement:
La LGV Tours-Bordeaux échappera-t-elle à la malédiction des PPP ferroviaires ? (Transports n° 494, nov-déc 2015)
En Espagne: les autoroutes et les aéroports
En Espagne, il n'y a pas que les LGV et autres nouvelles voies ferrées qui font faillite.
Les aéroports sont un cas célèbre: les Espagnols se moquent de
leurs «aéroports piétonniers», qui n'ont parfois jamais vu un seul
avion, comme celui de Castellón (près de Valencia), ouvert en 2011
et inutilisé jusqu'en 2015 (aujourd'hui, grâce à 3 lignes Ryanair,
il accueille 1 avion par jour), ou celui de Huesca (au nord de
Saragosse), qui n'a aucun trafic commercial depuis des années.
Or les aéroports aussi peuvent être confiés au privé. La première
expérience a été l'aéroport de Ciudad Real (au sud de Madrid), en
2008, surnommé «aéroport Don Quichotte», parce qu'il est proche du
lieu où Cervantes a situé les aventures de son ingénieux hidalgo
de la Manche, et parce qu'il est aussi absurde que les actions de
Don Quichotte. Il a été mis en redressement judiciaire dès 2010 et
son dernier avion s'est posé en 2011. L'aéroport a été conçu pour
accueillir des Airbus A380. Alors qu'il a coûté 450 M€ à
construire, il a été récemment vendu aux enchères pour 56 M€ en
2016 (après une enchère ratée qui s'était terminée à 10.000€), à
une société-écran dont personne ne sait qui est derrière
(peut-être les anciens propriétaires) et dont personne ne croit
qu'elle créera les milliers d'emplois qu'elle promet.
Mais les autoroutes aussi peuvent être en faillite, lorsqu'elles sont financées par le privé avec l'espoir de péages et de trafics très élevés. C'est le cas de plusieurs pénétrantes (autoroutes radiales) de Madrid, ainsi que celle qui va à l'aéroport de Madrid: leur trafic a baissé de moitié entre 2007 et 2013, et les péages ne couvrent plus les frais.
Lorsqu'il est évident que les péages élevés feraient fuir les
automobilistes, une autre forme de PPP est le «péage fantôme»
(peaje en la sombra): l'autoroute semble gratuite à
l'automobiliste, mais elle est privée et l'État paye le
concessionnaire à chaque fois qu'une voiture y passe. Il en existe
au Portugal, et c'est le cas en Espagne d'une petite autoroute de
5 km, l'autoroute ARA-A1 (financée par le gouvernement de
l'Aragon). Inaugurée en 2008,
c'est au sens propre qu'elle s'est effondrée en 2015,
emportée par une crue de l'Èbre qu'elle traverse (elle a depuis
été réparée).
On ignore actuellement ce qu'il adviendra de ces autoroutes en
faillite, mais le risque est fort que le gouvernement finisse par
reprendre l'exploitation à son compte et par rembourser aux
actionnaires tout l'argent qu'ils ont investi. Avec ce mécanisme,
l'investissement dans une activité vouée à la faillite est
finalement un business rentable et sans risque.
Les usines de locomotives: Alstom et les autres
En juillet 2016, Alstom annonce sa décision de fermer son site historique de Belfort, fabriquant notamment des locomotives.
Alstom (actionnaire du consortium Oc'Via), est un autre montage
financier baroque: cette société avait subi des difficultés qui
avaient conduit l'État à laisser vendre une branche rentable
(l'énergie) à l'américain General Electric, et à se faire prêter
20% du capital par Bouygues (prêt avec option d'achat). Alstom
remporte des succès à l'exportation, mais avec peu d'emplois en
France car beaucoup de clients étrangers exigent une fabrication
locale.
L'État doit-il alors forcer la SNCF à acheter plus de trains que
nécessaire pour aider Alstom, au risque d'augmenter son propre
déficit? Ou à acheter des trains Alstom plutôt que d'autres
fabricants étrangers (le canadien Bombarbier, l'espagnol CAF,
l'allemand Vossloh,...), alors que ces fabricants construisent les
trains dans des usines françaises? Était-il vraiment judicieux
qu'Alstom investisse dans le CNM à l'occasion du partenariat
public-privé? On n'y comprend plus rien!
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