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Désintox: Les Tartuffe de la gare TGV de Montpellier la Mogère
n°2: 2 milliards d'euros de pénalités si on arrête?

Sommaire de la rubrique «désintox»

Présentation du feuilleton Renvois vers les chapitres de cette page:

Épisode 2: «Si on arrête, RFF nous facturera 2 milliards d'euros de pénalités»

Avec M. Philippe Saurel et la participation de MM. Jean-Pierre Moure et Pierre Balandraud
Épisode sponsorisé par la SERM, ICADE, etc...

En préambule du conseil d'agglomération de Montpellier du 13 juin 2014, M. Philippe Saurel, le maire de Montpellier et président de l'Agglomération (aujourd'hui Métropole) de Montpellier, a expliqué aux conseillers d'agglomération qu'il était coincé par RFF (Réseau Ferré de France, aujourd'hui «SNCF Réseau»). Pour arrêter la gare il y aurait une pénalité que 2 milliards d'euros, que l'Agglomération était «comme ça» face à RFF (avec un couteau sur l'artère jugulaire), et qu'on pouvait faire confiance à RFF pour se faire payer.

Visionner ce préambule, à partir de 0:42 surtout:


(lien vers le fichier vidéo; la vidéo sur une page séparée)

À voir aussi: le verbatim (1 page en PDF),
et le synopsis sous le lecteur vidéo complet

Il ne fait aucun doute que l'argument avait tout pour plaire:
  • la bonne foi du maire nouvellement élu, qui n'y peut malheureusement rien
  • l'erreur gravissime commise par son prédécesseur et adversaire, Jean-Pierre Moure, récemment battu aux élections
  • les conséquences inextricables et ruineuses des projets financés par un «partenariat public-privé» (PPP).

Mais si Philippe Saurel voulait vraiment arrêter ce projet de gare coûteuse et inutile, pourquoi a-t-il besoin de dire et d'insister que «le quartier Oz justifie la gare» (à 1:56)? Nous savons bien que la seule justification de cette absurde nouvelle gare (voir notre carte animée) est en effet cette ZAC OZ (une future zone de bureaux, sur 350 hectares de terres agricoles, dont 60 ha pour la première phase «ZAC OZ1»), décidée sous Jean-Pierre Moure et dénoncée par le candidat Philippe Saurel. Mais dit-il ceci dans le but de justifier la gare? Tout ceci est incohérent.

Examinons d'abord d'où vient cette affirmation, d'où sort de montant de 2 milliards d'euros, et quelle est la part de vérité là-dedans.

Comme on va le voir, la conclusion est sans ambigüité: c'est un énorme mensonge, que Philippe Saurel réutilise depuis plus d'un an.

Une affirmation aux motivations politiciennes

Résumé:
L'urbanisation des terres agricoles du sud de Montpellier est une lubie frêchiste vieille d'un quart de siècle, concrétisée en 2013 par le président de l'Agglomération de Montpellier, Jean-Pierre Moure.
Devenu son opposant à l'occasion de sa propre candidature aux municipales de 2014, Philippe Saurel critique alors fortement le projet de gare TGV et la zone d'aménagement concertée (ZAC) Oz, qui l'entoure.

Une fois élu maire et même président de l'agglomération de Montpellier en avril 2014, difficile dans ces conditions d'endosser des projets qu'il critiquait encore la veille, quand bien même il tiendrait en fait à les réaliser. Il va par contre affirmer, à partir du conseil d'agglomération du 13 juin 2014 qu'il n'est pas possible de renoncer à la gare, mais qu'il va réduire le périmètre de la ZAC Oz. On démontrera ci-dessous la fausseté de la première assertion, tandis que la seconde sera analysée dans un prochain épisode.

La gare TGV, vieux prétexte pour le bétonnage du sud agricole de Montpellier

Depuis toujours, Georges Frêche, l'ancien maire amoureux du béton, rêvait d'utiliser une gare TGV pour justifier l'urbaniser les terres agricoles du sud de Montpellier. Le journal municipal «Montpellier Notre Ville» (n°126, décembre 1989, p.11) l'évoquait déjà, et le rapport Querrien sur le TGV Méditerranée (1990) indiquait que la SNCF préfère les centres-villes mais que «les autorités locales» de Montpellier souhaitent une gare TGV au sud de Montpellier. Tout ceci est expliqué dans le Mémoire n°2 du Collectif anti-Mogère pour l'enquête publique «gare TGV».

Le projet a été officialisé sous la présidence de Jean-Pierre Moure, maire de Cournonsec (un village à l'ouest de Montpellier), devenu président de l'Agglomération à la mort de Georges Frêche en 2010 (il était premier vice-président).

En 2013, Jean-Pierre Moure présente en grande pompe le projet ZAC OZ «Nature Urbaine» avec ses 350 hectares et sa nouvelle gare TGV, au sud de Montpellier, de même que le projet ZAC ODE «Ode à la mer», sur les communes de Lattes et de Pérols (en direction de la mer). Même si les citoyens n'ont pas bien compris ces projets alors que tant de locaux sont vides.

Au même moment, la mairie de Montpellier, dirigée par Hélène Mandroux, dont Philippe Saurel est un adjoint, est moins enthousiaste: la présentation de la réforme du PLU de 2013 signale que «la solution un temps envisagée et finalement repoussée à long terme prévoyait la création d‘une gare TGV à l‘extérieur du centre-ville».

Un candidat opposant à tout les projets de son ancienne majorité

En 2014, Philippe Saurel devient l'adversaire politique de Jean-Pierre Moure (tous les deux sont pourtant socialistes), pour d'évidentes raisons:

  • Jean-Pierre Moure étant président de l'Agglomération, choisi par Georges Frêche, les socialistes le désignent comme candidat à la président de l'Agglomération aux municipales de 2014.
  • Les règles électorales accordant presque les pleins pouvoirs au maire de Montpellier sur l'Agglomération, Jean-Pierre Moure ne peut être sûr de conserver son siège que s'il devient maire de Montpellier. Il quitte donc son village de Cournonsec pour être candidat à la mairie de Montpellier.
  • Philippe Saurel convoite aussi le poste de maire de Montpellier. Il se présente en candidat dissident et est donc exclu du PS.
  • Sa stratégie de campagne est alors tracée: plutôt que de s'opposer à la droite (Jacques Domergue) et à l'extrême-droite (France Jamet), assez faibles à Montpellier, il s'oppose prioritairement au favori, Jean-Pierre Moure. Cette stratégie fonctionne: il passe le 1er tour, récupère au 2e tour une partie des voix du FN, et est élu maire avec 37,5% des voix exprimées.

Il est alors politiquement logique que Philippe Saurel critique les décisions de Moure, et donc la gare TGV et la ZAC OZ.

Une fois élu, que faire de toutes ces promesses ?

Le programme du candidat Saurel est minimaliste et se résume principalement à la promesse «Je serai maire à plein temps», Saurel promettant qu'il ne dirigera pas l'Agglomération de Montpellier. On peut alors comprendre qu'il adopte la position de la mairie de Montpellier face à celle de l'Agglomération.

Ce positionnement perdure juste après son élection comme maire de Montpellier, le 5 avril 2014:

  • dans le Midi-Libre du 7 avril 2014 : il repousse la ZAC OZ aux calendes grecques et dénonce le scandale de la collusion entre Moure et le président de la CCI, André Deljarry (on y reviendra dans un prochain épisode)
  • dans la Gazette de Montpellier du 10 avril 2014 : nouvelle dénonciation du quartier OZ et de la collusion Moure-Deljarry; mais le maire de Lattes s'estime confiant que Philippe Saurel reniera ses engagements.

Quelques jours plus tard, il trahit sa principale promesse en devenant président de l'Agglomération le 15 avril 2014, mais peut difficilement annoncer qu'il s'est réveillé favorable au quartier OZ et à la gare TGV. Il défend alors une théorie basée sur les points suivants:

  1. il n'est pas favorable à la gare de la Mogère, mais il n'a pas la possibilité d'arrêter le projet;
  2. il n'est pas favorable à la ZAC OZ et il va réduire le projet (à lire dans un prochain épisode).

L'affirmation de Saurel, sur une pénalité de 2 milliards d'euros en cas d'arrêt, est donc justifiée sur le plan politique. Mais est-elle exacte?

2 milliards d'euros, mais sortis de quel chapeau?

«Les accords qui ont été passés, obligent l’agglomération à financer, à la fois, la gare, et une partie du CNM, à hauteur de 100 millions d’euros, que nous commençons à financer par tranches annuelles.» (Philippe Saurel)
=> PRESQUE VRAI

En résumé:
La gare TGV de Montpellier n'est qu'une des tranches du considérable saucissonnage auquel se sont livrés en particulier l'Agglomération de Montpellier et la Région Languedoc Roussillon. Contournement ferroviaire, deux gares excentrées à Montpellier et Nîmes, une ZAC et une extension du tramway: l'enveloppe de tous ces projets avoisine effectivement 2 milliards d'euros d'argent public.

Ce saucissonnage, destiné notamment à contourner les règles de concertation et de protection de l'environnement (voir l'épisode précédent), a une conséquence concrète. En dépit de la convention financière décrivant les participations des acteurs publics, collectivités locales et autres institutions, ces projets sont contractuellement distincts. Ce qui offre des perspectives d'annulation qui ont opportunément été ignorées, y compris par le nouveau président de la Métropole, Philippe Saurel.

Le saucissonnage, discipline reine des grands projets inutiles

Le montant de 2 milliards d'euros est la somme du coût du Contournement ferroviaire de Montpellier et Nîmes (CNM) et des deux nouvelles gares TGV de Montpellier et de Manduel. Mais pourquoi ce calcul?

Il faut comprendre le découpage artificiel (ou «saucissonnage») qui a été fait en plusieurs projets (voir aussi notre carte animée):

  1. le Contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier (CNM), officialisé en 2005 (déclaration d'utilité publique)
  2. la nouvelle gare TGV de Montpellier La Mogère, alors non encore officialisée (déclaration de projet fin 2014)
  3. la nouvelle gare TGV de Nîmes - Manduel, non encore décidée à ce jour
  4. la ZAC OZ phase 1, décidé en 2013 (déclaration d'utilité publique), et les futures phases ultérieures
  5. l'extension du tramway (ligne 1) vers la nouvelle gare TGV de Montpellier, non encore formalisée à ce jour.

Les 3 premiers projets (CNM et gares de la Mogère et de Manduel) ont été inclus dans le même ensemble de conventions de financement signées le 25 avril 2012 (choisir «Convention de financement du 25/04/2012»), alors que le premier était décidé et que les deux autres n'étaient que des hypothèses.

Le tableau des contributions prévues pour ces 3 premiers projets est indiqué à la page 13 de l'accord-cadre de financement, dont voici un résumé (montants en millions d'euros, valeur 2011):


Contournement de Nîmes et Montpellier (CNM)
Gare de Montpellier la Mogère
Gare de Nîmes-Manduel
Total
Conseil régional Languedoc-Roussillon
342
32
23
397
Conseil général du Gard
40
0
0
40
Communauté d'agglomération de Montpellier
67
12
1
80
Communauté d'agglomération de Nîmes
31
1
8
40
Total collectivités territoriales
483 (*)
45
32
560
État / AFITF (agence de financement des infrastructures de transport de France)
897
45
32
974
Total des collectivités publiques
1380
90
63
1533
Union Européenne
54
0
0
54
Réseau Ferré de France (RFF)
323
45
32
400
Total
1757
135
95
1987
(*) la somme est fausse de 3 millions: l'erreur est dans le document officiel

Comme on le constate en bas à droite, le total coûte bien environ 2 milliards d'euros.

Lorsque Saurel indique que l'Agglomération est obligée à financer «la gare, et une partie du CNM, à hauteur de 100 millions d'euros», il exagère légèrement car l'accord-cadre de financement prévoit un montant total de 80 millions et non de 100 millions d'euros, mais il n'est pas très loin du compte.

Un PPP peut en cacher un autre

Le président de la Métropole indique que le projet est réalisé via un partenariat public-privé (PPP). Les PPP, ou «contrats de partenariat», sont très avantageux pour les banquiers et les grands groupes de BTP: un grand groupe privé finance et réalise l'ensemble d'un projet public et touche ensuite des loyers pendant une longue durée, contrairement au marché public classique dans lequel l'institution publique se finance elle-même et paye les différentes entreprises qui réalisent le projet.

Mais il y a en réalité deux PPP et une maîtrise d'œuvre publique (marché public classique):

  • le CNM est réalisé via un PPP, signé en 2012 avec Oc'Via (consortium lié au groupe Bouygues)
  • la gare de la Mogère est réalisée via un autre PPP, signé en 2015 (et donc non signé lorsqu'il fait sa déclaration), avec un consortium lié à ICADE et à la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations)
  • la gare de Manduel est réalisée via une maîtrise d'œuvre publique, c'est-à-dire sans PPP, malgré sa plus grande complexité technique.

Lors de son intervention de juin 2014, Philippe Saurel se garde bien de dire que le contrat concernant la gare est distinct de celui du CNM. Il renforce ainsi l'illusion d'une décision irréversible.

Quelles pénalités en cas d'abandon?

«Ce financement se fait au travers [...] d’un partenariat public-privé, nous ne pouvons pas sortir de l’acte constitutif de cet engagement de l’agglomération, sous peine de verser 2 milliards d’indemnités.» (Philippe Saurel)
=> FAUX !

Résumé:
Affirmer qu'il en coûterait autant de renoncer à la gare est doublement faux. D'une part, seul le contrat relatif à la gare stricto sensu est concerné et bien sûr pas le contournement ferroviaire, l'essentiel du budget. D'autre part, seuls les frais effectivement engagés pour la construction sont en jeu. Au final, l'ordre de grandeur est la dizaine de millions d'euros, très loin des deux milliards. L'enfumage du président de la Métropole est total.

Remarque générale sur le calcul des pénalités d'abandon

Dans tous les cas, il est exclu que l'Agglomération doive payer 2 milliards d'euros, c'est-à-dire le coût total de l'ensemble des projets, même si elle provoquait l'abandon de l'ensemble des projets.

En effet, si les entreprises ont besoin de 2 milliards d'euros pour construire les ouvrages, elles auront besoin de moins pour ne pas les construire: dans ce cas, elles n'achètent pas de matériaux de construction, embauchent moins de salariés, ne louent pas d'engins de chantier, et empruntent moins d'argent à la banque. Les pénalités en cas d'abandon peuvent être coûteuses, mais elles ne peuvent donc représenter qu'une fraction du coût de l'ouvrage.

Pour cette raison, la déclaration de Philippe Saurel sur la pénalité de 2 milliards est donc totalement fantaisiste.

Le mensonge est encore plus clair lorsque l'on prend en compte qu'il y a plusieurs projets (tous n'étant pas concernés par l'abandon), et plusieurs partenaires.

L'abandon du CNM: pas au programme!

Parmi les 3 projets estimés à 2 milliards, la plus grande partie du budget, et de loin (88%), concerne le contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier (CNM).

À la date de la déclaration en conseil d'agglomération de juin 2014, ce projet était le seul à être officiellement décidé (déclaration d'utilité publique de 2005) et financé (convention de financement de 2012), et le seul dont le PPP était déjà signé (celui de la gare ne sera signé qu'en février 2015). Il était déjà en travaux et relativement avancé (terrassement, ouvrages d'art). Personne ne propose son abandon: il n'y a donc aucune raison de payer la moindre pénalité sur cette partie.

Ce que peut laisser croire cette déclaration, c'est que l'abandon de la gare impliquerait l'abandon du CNM, un argument qui peut être résumé par «il faut bien une gare pour que les TGV puissent s'arrêter». Cet argument est un pur enfumage, car le CNM a été prévu en 2005 sans la moindre nouvelle gare TGV, ce que confirmait encore la mairie de Montpellier en 2013. Il était conçu principalement pour des trains de marchandises ne desservant pas Montpellier, pour certains TGV très directs (exemple: Paris-Madrid) sans arrêt à Montpellier, et pour quelques TGV quittant le CNM par l'embranchement de Saint-Brès pour desservir la gare de Montpellier Saint-Roch au centre-ville (voir notre carte animée).

L'abandon de la gare de la Mogère: quel coût réel?

Philippe Saurel affirmait que RFF (Réseau Ferré de France, aujourd'hui SNCF Réseau) allait lui réclamer 2 milliards d'euros. Il était donc intéressant de demander à RFF quel serait le coût d'un tel abandon. C'est ce qu'a fait le commissaire enquêteur Pierre Balandraud (enquête publique «gare TGV») en octobre 2014, et voici ce que RFF lui a répondu (p. 65 de sa réponse au commissaire enquêteur):

  • «quelques millions d'euros» pour les coûts de RFF (études notamment)
  • «probablement quelques millions d'euros» pour l'indemnisation du titulaire pressenti du PPP (ICADE)
  • un manque à gagner pour RFF en termes de péages ferroviaires
  • des dizaines de millions d'euros en cas de réalisation future
  • une perte de subvention des collectivités locales et de l'Union Européenne.

Le véritable coût, de «quelques millions» + «probablement quelques millions d'euros», donc de l'ordre de 10 M€, est très éloigné des 2 milliards d'euros évoqués.

Les autres points ne sont pas un coût pour la collectivité, mais un jeu à somme nulle: le gain de RFF en péages ferroviaires plus coûteux est une perte du même montant pour la SNCF et ses usagers, la perte de subventions locales est une économie pour les contribuables locaux (à noter que l'Union Européenne ne participe pas au financement des nouvelles gares inutiles). Quant à la réalisation future de la gare, il est clair que si on abandonne le projet c'est parce que l'on considère qu'il est inutile, et mal situé en raison de l'absence de correspondances ferroviaires.

Un autre coût à prendre en compte est la réalisation de l'embranchement de Saint-Brès, pour permettre à des TGV de desservir Montpellier-centre depuis le CNM. On peut estimer son coût à 20 M€, grand maximum. Le projet est déjà validé (depuis 2005) et ne demande qu'à être réalisé, d'ailleurs il n'a officiellement pas été abandonné mais juste ajourné. Ce projet est de toute façon utile, entre autres pour gérer les situations perturbées.

Un manque à gagner pour l'Agglomération et ses satellites

«Le quartier Oz justifie la gare. Je répète : le quartier Oz justifie la gare.» (Philippe Saurel)
Et vice versa...

Résumé:
Depuis les déclarations mensongères de juin 2014 et les propos attentistes ou dubitatifs tenus par la suite par le Président de la Métropole lorsqu'on l'interrogeait sur le projet de gare de la Mogère, la situation n'a pas changé d'un iota pour la collectivité. Peu importent les démonstrations faites lors de l'enquête publique sur l'absurdité ferroviaire de la localisation de la gare, peu importent le report d'une voire deux décennies des projets ferroviaires qui devaient la justifier. La Métropole et son président ont toujours l'intention de vendre les terrains de la ZAC Oz qu'ils ont acquis autour de la gare. Cet engagement existe, mais il est caché dans les méandres des comptes des satellites immobiliers de la Métropole de la Ville.

Ce que ne dit pas Philippe Saurel, c'est que c'est l'Agglomération elle-même qui a imposé la réalisation de la gare de la Mogère, via un chantage aux subventions, et que c'est donc ses propres intérêts qui sont lésés en cas de non-réalisation, et non les intérêts de RFF ou d'une autre institution.

Lors du débat public de 2009 sur la Ligne Nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP), l'Agglomération de Montpellier voulait ouvertement imposer une gare au sud de Montpellier, en excluant totalement l'idée d'une gare située en correspondance avec la ligne actuelle, alternative proposée par la SNCF et préférée par le public presque unanime.

La suite s'est enchaînée mécaniquement:

  • par décision de novembre 2009 (publiée au JO en décembre 2010), RFF annonce des nouvelles gare TGV à côté de Montpellier et de Nîmes
  • un «protocole d'étape» de 2011 (non publié) décide l'«absence de réalisation (...) du raccordement dit de St-Brès», c'est-à-dire l'impossibilité pour les TGV circulant sur le CNM de desservir Montpellier-centre, tandis que la réalisation des nouvelles gares TGV est envisagée
  • en 2012, les conventions de financement valident le tour de table du CNM (avec de lourdes contributions des collectivités locales) et la réalisation des deux nouvelles gares.

Il est clair que cette évolution a été initiée par Georges Frêche, qui était à la fois président de l'Agglomération de Montpellier et de la Région Languedoc-Roussillon: alors que RFF se désespérait de pouvoir financer le CNM, dont l'utilité ne suscitait guère de débat, la Région se proposait d'apporter 400 millions d'euros, en échange de la réalisation de deux nouvelles gares TGV, financées en grande partie par les collectivités locales. La stratégie était claire, et typique du système Frêche: la Région finance, plus ou moins directement, les projets immobiliers de l'Agglomération de Montpellier.

On peut penser qu'en cas d'abandon de la gare de la Mogère, il y aura probablement abandon de la ZAC OZ (encore que l'abandon du port de plaisance de «Port-Marianne» n'a pas provoqué l'abandon des projets immobiliers du secteur, pourtant initialement justifiés par le projet de port). Et donc un manque à gagner pour l'Agglomération, qu'on peut comprendre ainsi:

  • L'Agglomération a acheté les terrains de la ZAC OZ: si elle doit les revendre au prix agricole plutôt qu'au prix d'une zone de bureaux voisine d'une gare TGV, elle subira un énorme manque à gagner. Ces opérations étant réalisées par la SERM et la SAAM (satellites de l'Agglomération), il est difficile pour les citoyens d'accéder au bilan financier de l'opération.
  • Des accords ont visiblement été noués entre l'Agglomération et les promoteurs en charge des opérations «Gare TGV» et «ZAC OZ» (ICADE, F.Fondeville,...), et sans en connaître la nature exacte, on peut imaginer que l'abandon du projet constituerait une rupture d'accord par l'Agglomération.
  • L'accord avec la CCI (et son président André Deljarry) sera évoqué dans un prochain épisode.

Il s'agit donc là de coûts réels pour l'Agglomération, mais peut-être non avouables par l'Agglomération qui préfère que ces affaires soient traitées dans l'opacité de ses sociétés satellites en charge des opérations immobilières et des montages financiers avec les promoteurs, la SERM et la SAAM.

En conclusion

La pénalité de 2 milliards d'euros, citée par Philippe Saurel en cas d'abandon du projet de nouvelle gare TGV, est un mensonge grossier et même loufoque. Ce mensonge a pourtant été utilisé continuellement pendant plus d'un an.

Le montant de 2 milliards correspond au coût total de réalisation de la voie ferrée de Contournement de Nîmes et Montpellier (CNM), et des nouvelles gares TGV de Montpellier et de Manduel. Il n'y a aucune raison pour que des pénalités d'abandon puissent atteindre une fraction significative de ce montant, d'autant plus que ce montant est constitué principalement (à 88%) par le CNM et que personne n'envisage l'abandon du CNM. Le CNM n'a pas besoin de la gare de la Mogère.

Le montant réel des pénalités d'abandon, estimé par RFF à l'occasion de l'enquête publique «gare TGV», est de l'ordre de 10 millions d'euros.

À ceci, on peut ajouter le coût de l'embranchement de Saint-Brès, permettant l'accès à la gare Montpellier Saint-Roch depuis le CNM, et déclaré d'utilité publique depuis 2005 mais en pratique abandonné depuis 2012: cet embranchement est utile dans tous les cas, mais particulièrement indispensable si la gare de la Mogère est abandonnée: son coût est au maximum de 20 M€, dans tous les cas largement moins que le coût de la gare de la Mogère (135 M€ officiellement, mais sans doute près de 200 M€ en incluant les accès routiers et la desserte tramway).

Mais la réelle pénalité pour l'Agglomération, c'est le risque d'abandon de la ZAC OZ, sur des terrains qu'elle a elle-même achetés. Voilà pourquoi son président dit «Le quartier Oz justifie la gare». L'espoir d'un gros gain spéculatif se transformerait en perte sèche pour l'Agglomération. Le montant du manque à gagner n'est pas connu, en raison de l'opacité des comptes de la SAAM et de la SERM, ainsi que des relations de l'Agglomération avec les promoteurs et la CCI. Mais le montant de la subvention que Georges Frêche a accepté de verser au projet (400 M€ pour le CNM, à condition que les nouvelles gares soient réalisées), et la valeur de l'avantage octroyé à la CCI dans le cadre du déménagement de l'école Sup de Co' dans le quartier Oz (voir un prochain épisode), permettent de penser qu'il s'agit d'un manque à gagner considérable, pour l'Agglomération ou pour des structures liées à celle-ci, mais difficilement avouable aux citoyens.

Il ne s'agit toutefois que de gains espérés. Alors que le prix de l'immobilier commercial est au plus haut, que la construction de zones commerciales et de bureaux n'a jamais été aussi rapide en France et notamment à Montpellier, et que la ville va perdre son statut de capitale régionale, il pourrait y avoir un excédent qui aboutirait à l'échec de la ZAC OZ. Beaucoup de zones d'activités prévues autour de gares TGV excentrées, en France et en Espagne, sont très loin de se développer comme initialement prévu. Sur le plan ferroviaire, on peut parier que la SNCF minimisera les dessertes de la nouvelle gare via le CNM (à cause des péages élevés), et le report à long terme de la ligne Montpellier-Perpignan (LNMP) aggravera cette situation: la récente décision de réaliser les LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne via Dax empêche le financement de la LNMP.  Or, si la ZAC ne se vend ou ne se loue pas bien, il y a un manque à gagner encore plus coûteux que si le projet avait été abandonné à temps.



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