Désintox: Les Tartuffe de la gare TGV de
Montpellier la Mogère
3. Le
quartier Oz et sa surface, et l’affaire Sup de Co
Sommaire de la rubrique «désintox»
Présentation du feuilleton- Épisode 1: Une gare non inondable? (Ph. Saurel, le préfet P. de Bousquet...) [=> version PDF]
- Épisode 2: «Si on arrête, RFF nous facturera 2 milliards d'euros de pénalités» (Ph. Saurel + guests) [=> version PDF]
- Épisode 3: Le quartier Oz et sa surface, et l’affaire Sup de Co (Ph. Saurel, A. Deljarry,...) [=> version PDF]
- Épisode 3: Le quartier Oz et sa surface, et l'affaire Sup de Co
- Le quartier Oz a-t-il été réduit depuis l'élection de Philippe Saurel?
- En quoi consistent les avantages accordés par la Ville «à Monsieur Deljarry»?
- De quoi André Deljarry est-il accusé par Philippe Saurel?
- En conclusion
- Épilogue
Épisode 3: Le
quartier Oz et sa surface, et l'affaire Sup de Co
Avec MM. Philippe Saurel, André Deljarry (CCI de Montpellier), Jean-Pierre Moure, Frédéric Szczot (commissaire enquêteur).
Où l'on décrypte une brouille passagère du maire de Montpellier avec un des pontes de l'immobilier local.
Le nouvel élu
Philippe Saurel dénonce le quartier Oz et André Deljarry
Comme nous n'avons déjà relevé dans l'épisode
n°2
de «désintox» sur la prétendue pénalité de 2 milliards d'euros,
le président de la Métropole (ex-Agglomération) de Montpellier, M.
Philippe Saurel, déclarait s'opposer à tous les projets de
Jean-Pierre Moure en 2014, lorsqu'il briguait la mairie de
Montpellier, tandis que ce dernier était président de
l'Agglomération de Montpellier et candidat du PS à la mairie de
Montpellier. Projets qu'il a pourtant relancés après son élection
à la mairie puis à l'Agglomération de Montpellier.
Cette opposition s'appliquait ainsi à la ZAC Oz, un grand
quartier de bureaux prévu dans le secteur sud de la commune de
Montpellier, sur des terres agricoles partiellement inondables,
autour de la gare TGV de Montpellier La Mogère. Cette opposition
affichée s'est prolongée juste après son élection à la mairie de
Montpellier (sa liste a gagné l'élection le 30 mars 2014), et il a
ainsi déclaré:
- dans un numéro
spécial
de la Gazette de Montpellier du 10 avril 2014: les projets
Oz et Ode (sur les communes de Lattes et Pérols)
sont en stand-by, ils sont trop chers, et la Mairie a été
trompée par Andry Deljarry. Mais déjà, le maire de Lattes et le
président de la CCI se disent confiants que Philippe Saurel ne
va pas respecter ses promesses de campagne.
- dans le Midi
Libre
du 7 avril 2014: abandon ou du moins remise à plat du
projet «Oz», abandon de l'inauguration en 2017, le
projet est trop coûteux. Il critique André Deljarry, président
de la Chambre de Commerce et d'Industrie (CCI) de Montpellier,
qui contrôle l'école de commerce Sup de Co' actuellement
installée dans le quartier Alco (quartier ouest de Montpellier,
à côté du Conseil départemental) et dont un déménagement est
prévu dans le quartier Oz). En effet, dit-il, André Deljarry ne
cesse de critiquer la Mairie de Montpellier, qui lui permet
pourtant de faire une belle opération financière en augmentant
la surface constructible du terrain à Alco.
- dans une interview
à
Montpellier Journal du 5 avril 2014 (article payant),
Philippe Saurel met les points sur les i
concernant ses accusations contre André Deljarry, dont le
journaliste rappelle l'activité de promoteur immobilier.
M. Saurel se
réaffirme hostile au quartier Oz
Oralement, Philippe Saurel a constamment promis l'arrêt du
quartier Oz à tous les citoyens qui l'interpellaient à ce sujet ou
au sujet de la gare TGV, ainsi qu'aux journalistes. Les
journalistes de France 3 Languedoc-Roussillon en ont fait état le
3 octobre 2014, à la fin d'un sujet (disponible
sur
le site de France Télévisions) dans lequel il réaffirmait
l'obligation de payer 2 milliards d'euros de pénalités en cas
d'abandon du projet de gare TGV (ce qui est mensonger, voir désintox n°2): «L'Agglo
a
par ailleurs annoncé l'abandon du quartier Oz qui devait se
construire autour de la future gare».
(lien vers
le fichier vidéo; la
vidéo sur une page séparée)
(lien vers
le fichier vidéo)
à 0:18 : «et Max Lévita et moi, sur l'aménagement de
Oz, nous nous étions opposés à l'aménagement de Oz,
nous avions voté pour Ode mais pas pour Oz»
Remarquons qu'à la même occasion, il affirme que la Métropole («nous») a accepté de construire la dalle servant de fondation à la gare de la Mogère: c'est un gros mensonge qu'il a inventé pour faire passer en douce le vote des accès à la gare et au quartier Oz, soit plusieurs dizaines de millions d'euros, lors du conseil de métropole du 30 septembre 2015 (voir le point n°4 de notre article du 17 novembre 2015).
À défaut d'abandon, une réduction de la surface du quartier Oz?
Comme il était indéniable que les décisions de la Métropole continuaient à se succéder pour l'aménagement du quartier Oz (par exemple avec l'enquête publique «Loi sur l'eau» du quartier ZAC Oz 1, début 2015), il était difficile à M. Saurel de continuer à affirmer qu'il avait abandonné le projet Oz. Il s'est alors mis à affirmer à qui voulait l'entendre que le quartier Oz avait été drastiquement réduit en surface, de 350 hectares à l'origine (ou 300, ou 320, selon les jours), à 60 hectares (dont 30 hectares imperméabilisés).
On lit ainsi dans un article de «Les Échos» du 15 avril 2015, consacré à l'urbanisation à venir autour de la gare de la Mogère, cette remarque:
Philippe Saurel, maire DVG de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole, a pourtant choisi de revoir à la baisse le projet initial : « L'emprise sera de 60 hectares, au lieu de 300 pour le projet initial. Je ne veux pas bétonner à tout va », déclare l'élu.
Et pourtant, tout continue comme avant?
Après toutes ces garanties fournies oralement par M. Saurel, on
peut être étonné de lire dans le Midi
Libre
du 29 septembre 2015 (accès payant) que la Métropole
(nouveau nom de l'Agglomération) est tombée d'accord avec André
Deljarry, pour un accord conforme à ce que critiquait précédemment
Philippe Saurel: déménagement de l'école de commerce Sup de Co' à
proximité de la future gare TGV, et offre par la mairie d'un
avantage financier via la hausse du plafond d'urbanisation sur le
terrain de l'actuelle Sup de Co' dans la quartier Alco. Monsieur
Saurel a immédiatement affirmé que cette information était fausse
(notamment dans les longs préambules consacrés à la gare de la
Mogère lors du conseil
municipal
de Montpellier du 29 septembre 2015, et du conseil
métropolitain
de Montpellier du 30 septembre 2015), mais on ne voit pas
quelles raisons André Deljarry aurait eu d'inventer cela. Le
crédit que l'on peut accorder aux propos de Monsieur Saurel est
d'autant plus faible que c'est justement le 30 septembre 2015,
après un très long préambule au cours duquel il disait vouloir
temporiser sur la gare de la Mogère, qu'il a fait voter les
décisions sur les accès à la gare, très coûteuses pour la
Métropole. La
Marseillaise de l'Hérault du 29 septembre 2015 précise
qu'André Deljarry cherche des financements pour 100 millions
d'euros, et sous-entend qu'il va bénéficier de nouvelles faveurs
urbanistiques de la part de M. Saurel avec une nouvelle
augmentation des surfaces constructibles sur le terrain d'Alco.
Qu'en est-il donc de ce scandale autour de Monsieur Deljarry, et de l'abandon du quartier Oz? C'est l'objet de cet épisode.
Le quartier Oz a-t-il été réduit depuis l'élection de Philippe Saurel?
=> FAUX: le projet Oz n'a pas changé
d'un iota par rapport à ce qu'avait signé Jean-Pierre Moure.
Pour répondre à cette question clé, il suffit de comparer les documents produits par l'Agglomération (future Métropole) sous Jean-Pierre Moure, et les documents produits par la Métropole sous Philippe Saurel. C'est facile, car il y a eu deux enquêtes publiques sur la ZAC Oz 1:
-
du 7 janvier au 7 février 2014, donc sous Jean-Pierre Moure, a eu lieu l'enquête publique portant sur l'intérêt général de la ZAC Oz 1. Le commissaire enquêteur était Frédéric H. Szczot, qui a rendu un compte-rendu assez hallucinant.
-
du 30 mars au 30 avril 2015, donc sous Philippe Saurel, a eu lieu l'enquête publique préalable aux autorisations «Loi sur l'eau» pour la ZAC Oz 1. Le même commissaire enquêteur a été nommé, et a rendu un rapport du même genre que l'année précédente.
=> voir l'ensemble des documents concernant l'enquête publique «Loi sur l'eau ZAC Oz 1».
Le dossier de la seconde enquête publique («Loi sur l'eau») comportait essentiellement trois classeurs:
-
Un classeur spécifique à la Loi sur l'eau (172 pages), écrit par le bureau d'étude Egis. Le tout premier paragraphe de ce dossier indique clairement que la surface envisagée pour la ZAC Oz est toujours de 350 hectares:
-
Préambule
1.1 Le contexte général
L'arrivée prochaine de la gare nouvelle et de la ligne LGV donne au site «Méjanelle - Pont Trinquat» une valeur exceptionnelle, de par sa localisation, son foncier disponible (350 ha, dont 150 ha constructibles) et les projets d'infrastructures annexes (A9 déplacée et projet de prolongement d'une des lignes de tramway existantes). -
Un classeur contenant le «Schéma Directeur hydraulique du Nègue-Cats» (132 pages), en version n°3 (c'était la version n°2 qui avait été soumise lors de la précédente enquête publique), produit par le bureau Egis Eau. Il commence lui aussi par un préambule rappelant que la surface de la ZAC Oz est de 350 hectares.
-
Un classeur déjà produit lors de l'enquête publique précédente, contenant l'étude d'impact de la ZAC Oz 1 (223 pages, non compris les annexes).
Ce classeur n'ayant pas évolué, il contient les indications déjà connues, à savoir: - 350 hectares pour la ZAC Oz, dont 150 hectares constructibles;
- le projet étant de grande ampleur, il est phasé sur une grande durée (plus de 20 ans) et fera l'objet de plusieurs ZAC successives;
- dans l'immédiat, il s'agit de la ZAC Oz 1, sur une surface de 60 hectares, dont 30 hectares constructibles.
- l'ensemble fait partie du projet «Écocité» (NdlR: le projet d'urbanisation complète de Montpellier Port-Marianne jusqu'à la mer, soit environ 5000 hectares).
Le projet n'a donc pas été réduit: Jean-Pierre Moure n'envisageait pas de construire sur 350 hectares dès le début, mais bien de commencer par la ZAC Oz 1, sur 60 hectares dont 30 hectares imperméabilisés. Philippe Saurel n'a rien changé à cette décision.
Il faut également remarquer que si 30 hectares ne doivent pas être imperméabilisés dans le cadre de la ZAC Oz 1, c'est parce qu'ils se situent en zone inondable (espace de débordement du ruisseau du Nègue-Cats, inconstructible car en zone rouge du PPRI - Plan de prévention des risques d'inondation).
Mais précisément, c'est principalement sur cette zone rouge inconstructible qu'est prévue la construction de la gare TGV de la Mogère, au-dessus des remblais supportant la voie ferrée de contournement de Nîmes et Montpellier (CNM), et surtout sur des remblais spécifiques supportant le parvis et le parking de la gare. Voir à ce sujet l'épisode n°1 de «désintox» consacré aux risques d'inondations.
En quoi consistent les avantages accordés par la Ville «à Monsieur Deljarry»?
=> Il s'agit de l'autorisation de construire des immeubles sur l'actuel terrain de l'école Sup de Co', accordée en 2006, alors que l'adjoint à l'urbanisme de la ville de Montpellier se nommait Philippe Saurel
Lorsque le président de la Métropole évoque des faveurs accordées à «Monsieur Deljarry», il faut consulter le Plan local d'urbanisme (PLU) de Montpellier pour comprendre de quoi il s'agit.
Comme nous le montre le site Open Street Maps, l'école Sup de Co' se situe juste au sud du rond-point d'Alco:
Selon le PLU révisé en avril 2015, le terrain de Sup de Co' est situé en partie en zone 2U1-1bw (côté Nord le long de la rue du Pr Blayac, côté ouest à côté de Sanofi), et en partie en zone 3U1-1bw (côté sud, le long de l'avenue des Moulins):
Zone 2U1-1bw : cette zone est destinée à une urbanisation dense
en logements collectifs, jusqu'à 21 mètres de hauteur, et jusqu'à
la cote 55m NGF (le Peyrou est à 49m NGF). Le COS (coefficient
d'occupation des sols) y était fixé à 1, mais cette limite n'a
plus de valeur légale depuis l'adoption de la loi ALUR du
26/03/2014.
Zone 3U1-1bw : cette zone regroupe des grands terrains appartenant à des propriétaires institutionnels. Les règles y sont les mêmes que dans la zone 2U1-1bw, sauf qu'il y est uniquement permis de «réhabiliter, rénover, construire des bâtiments liés aux activités présentes dans la zone». La construction de logements y est notamment interdite, sauf pour les besoins des activités de la zone.
En résumé, une partie du terrain (zone 2U1-1bw) peut être transformée en immeubles, tandis que l'autre partie (zone 3U1-1bw) est quasiment inconstructible sauf pour les besoins de l'école Sup de Co'. Le classement d'une partie en zone constructible sans limitation d'usage (zone 2U1 au lieu de 3U1) a été adopté par le conseil municipal du 2 mars 2006 (extrait de la liste des modifications apportées au PLU depuis sa création):
«quartier Les Cévennes/Alco, secteur nord de Montpellier – Ecole Supérieure de Commerce : réduction du secteur de zone urbaine 3U1-1b au profit du secteur de zone 2U1-1b pour permettre le développement de l’offre de logements sur un secteur à forte concentration d’équipements publics qui sera directement desservi par la future 3ème ligne de tramway.»
Il est donc évident qu'à cette date, la transformation d'une partie du terrain de Sup de Co' en logements était connue et approuvée par les services d'urbanisme de la mairie de Montpellier. Et Philippe Saurel ne peut l'ignorer, lui qui a été adjoint à l'urbanisme et vice-président de la commission urbanisme de 2005 à 2008!
Mais cette volonté n'est pas limitée à Philippe Saurel, à lire le «Projet urbain Montpellier 2040», annexé au procès-verbal du conseil municipal du 16 décembre 2013 (M. Saurel était alors devenu adjoint à la culture et donc a priori peu concerné par l'urbanisme), et qui souhaite à l'évidence la construction de logements sur le site de Sup de Co' (les soulignements sont de nous):
«Une nouvelle greffe urbaine
L’opération Pierresvives, portée par le Département de l’Hérault, fait le pari d’ouvrir le quartier. Le projet urbain propose d’amplifier cette dynamique pour relier de manière claire et définitive la Paillade à la ville. La rue d’Alco et son prolongement par l’avenue Blayac, tracé ancien et direct, pourraient devenir le support de cette nouvelle greffe urbaine, un lien d’espaces publics généreux, continus et connectés aux établissements scolaires. Une offre de logement diversifiée prendrait place sur des fonciers à recycler et s’adosserait au parc des hauteurs reliant le paysage du Coteau à Malbosc et au Domaine d’O. Les mutations annoncées des emprises foncières de l’actuelle Ecole Supérieure de Commerce et des abords de l’Hôtel du Département peuvent contribuer à cette démarche globale de projet.»
Ce projet a été adopté à l'unanimité (le procès-verbal signale que Philippe Saurel avait quitté la salle juste avant la discussion sur ce point).
La question qui se pose ici n'est pas s'il est opportun ou pas de
vouloir désenclaver le quartier Pierre-Vives, mais de comprendre
dans quelles conditions les pouvoirs en place prévoient de le
faire.
De quoi André
Deljarry est-il accusé par Philippe Saurel?
De quel André Deljarry parle-t-on?
=> Difficile de répondre: cet homme
porte plusieurs casquettes.
M. Saurel s'en prend à «M. Deljarry», sans préciser à quel titre. Ce dernier est d'une part connu en tant que président de la CCI (chambre de commerce et d'industrie) de Montpellier depuis 2011. À ce titre, il a un rôle dans la gestion de l'École Supérieure de Commerce de Montpellier (dite «Sup de Co Montpellier», et officiellement rebaptisée «Montpellier Business School»).
Le rôle de la CCI dans l'école Sup de Co' n'est toutefois pas si simple: la CCI a créé l'école en 1897, mais cette école appartient depuis le 1er janvier 2013 une association à but non lucratif, comme nous l'apprend la page «identité et statut juridique» de son site internet. Les membres de cette association sont la CCI de Montpellier, la CCI de la région Languedoc-Roussillon, le conseil régional du Languedoc-Roussillon, la Métropole de Montpellier, des entreprises, des universitaires et d'autres personnes. Il y a également un «Advisory Board» (conseil consultatif), qui compte 30 grandes entreprises, dont SNCF Réseau et la Caisse des Dépôts: la plupart des partenaires impliqués dans la gare de la Mogère sont également impliqués dans la gestion de l'école Sup de Co'! On peut imaginer que, malgré cette réforme, la CCI de Montpellier conserve un rôle central dans la gestion de l'école.
Mais André Deljarry est d'autre part un promoteur immobilier, qui
dirige plus de 20 sociétés actives dans ce secteur. C'est
d'ailleurs en tant que promoteur qu'il a dirigé le Medef (syndicat
patronal) de l'Hérault, avant d'être élu président de la CCI. Il a
notamment créé et plusieurs fois agrandi l'hypermarché Intermarché
de Juvignac («Les portes du soleil») avant de s'en défaire et de
se lancer dans d'autres activités immobilières. La Gazette
de
Montpellier du 3 février 2012 a consacré un article à son
sujet. Il a donc très certainement un intérêt personnel dans des
projets immobiliers locaux.
Lorsque M. Saurel affirme que la Ville a permis à M. Deljarry de
faire un profit, il peut donc s'agir soit d'un profit réalisé par
les structures que M. Deljarry dirige (CCI et Sup de Co'), soit
d'un profit personnel.
Quel est le motif de la colère de M. Saurel?
=> M. Saurel attendait un renvoi
d'ascenseur clientéliste, que M. Deljarry n'a pas respecté
Les déclarations du maire de Montpellier juste après son élection pourraient être comprises de deux manières:
-
soit M. Deljarry a trompé la mairie de Montpellier en profitant d'une autorisation d'urbanisme destinée à agrandir l'école Sup de Co' sur le site d'Alco, pour faire une plus-value scandaleuse en revendant ce terrain à des promoteurs.
-
soit la critique est d'ordre politique: M. Deljarry est fautif de n'avoir pas soutenu politiquement les élus qui lui ont octroyé une grosse faveur en matière d'urbanisme.
Comme nous l'avons vu, la première hypothèse est exclue: dans le
PLU de 2006, avec M. Saurel adjoint au maire chargé de
l'urbanisme, la Ville a explicitement autorisé et encouragé la
construction de logements en densité élevée sur une bonne partie
du terrain de Sup de Co, en zone 2U1, tout en se donnant les
moyens juridiques d'empêcher cette transformation sur le reste du
terrain, resté en zone 3U1. La vente de terrains à des promoteurs
est donc parfaitement logique.
La modification du PLU de 2006 constitue donc un gros cadeau pour l'école Sup de Co', ou du moins pour le propriétaire de son terrain. C'est assez remarquable, car l'usage à Montpellier est de ne faire aucun cadeau aux propriétaires fonciers: selon une stratégie établie depuis longtemps par Georges Frêche, les propriétaires sont expropriés au tarif correspondant à l'ancien PLU, puis le PLU est modifié pour autoriser une densification de l'urbanisme, et les terrains sont alors valorisés via la SERM et la SAAM, sociétés satellites de l'Agglomération et de la mairie de Montpellier (stratégie que G. Frêche appelait «maîtriser le foncier» et «empêcher la spéculation», et que les petits propriétaires nommaient plutôt «spoliation»). Or dans cette affaire, le PLU a visiblement été modifié alors que le propriétaire avait gardé l'entière possession du terrain: c'est donc objectivement un très gros cadeau qui lui a été accordé.
La valeur du cadeau est difficile à estimer, mais voici un calcul
«à la louche» qui ne prétend donner qu'un ordre de grandeur. Le
terrain de Sup de Co' concerné par le classement en zone 2U1
mesure près de 3 hectares (30 000 m²), sur lequel on supposera
qu'il est autorisé de construire la même surface de logements.
Avec un prix des appartements neufs d'au moins 3000 €/m² à
Montpellier (exemple, selon Capital.fr,
septembre 2015: 3700 à 4200 €/m² dans la ZAC Ovalie), on
peut estimer le chiffre d'affaires du promoteur à 90 M€. Le
bénéfice pour le propriétaire du terrain est nécessairement bien
plus faible que cela, mais avec un classement en zone urbanisable
dense au lieu d'une zone réservée à l'activité existante, un
terrain presque invendable prend subitement une valeur sans doute
proche de 1000 €/m², soit une plus-value de 30 M€.
La première hypothèse (le refus de maintenir l'école à Alco) étant exclue, cela valide la seconde hypothèse (le différend politique), et permet de mieux comprendre cette déclaration de M. Saurel (citée dans le Midi-Libre du 7 avril 2014):
«Monsieur Deljarry, qui n'a eu de cesse de critiquer la Ville ces derniers temps, oublie un peu trop vite que c'est grâce à elle qu'il a pu mener cette opération financière.»
C'est-à-dire: puisque la Ville, et notamment M. Saurel, a accordé
une grosse faveur à M. Deljarry, celui-ci aurait dû renvoyer
l'ascenseur en le soutenant politiquement. Cette façon de faire a
un nom: le clientélisme.
Le comportement de M. Deljarry, dénoncé par M. Saurel, est-il répréhensible?
=> Faux. Au contraire: l'inverse
aurait même risqué d'être qualifié de corruption
Un dessin vaut paraît-il mieux que mille mots:
Aperçu basse résolution d'un dessin de Veesse, illustrant l'article «À l'ombre propice de la proximité, le clientélisme» (par Georges Roques), dans l'Agglo-Rieuse du 11 novembre 2015 (accès payant).
Si l'on comprend donc bien les déclarations de M. Saurel, il espérait un soutien politique de M. Deljarry en échange des faveurs accordées en 2006 sous la forme d'autorisations d'urbanisme dans le PLU de la ville.
Or, selon le droit administratif, si cette décision d'urbanisme a été prise dans le but d'obtenir ce soutien politique, il s'agit d'un détournement de pouvoir, ce qui la rend illégale. En effet, une décision publique doit être prise au nom de l'intérêt général, et non pour obtenir un avantage politique.
Mais il y a plus grave, cette fois-ci selon le droit pénal, et en particulier les articles 432-11 et 433-1 du Code pénal: le premier sanctionne la corruption passive et le trafic d'influence par les dirigeants publics, et le second la corruption active et le trafic d'influence par les particuliers. Ces articles prévoient, de part et d'autre, jusqu'à 10 ans de prison et 1 million d'euros d'amende (pouvant être portée jusqu'au double de l'avantage obtenu, ce qui dépasse de très loin le million d'euros dans le cas présent), lorsqu'une décision publique a été prise dans le but d'obtenir des dons, des promesses, ou «des avantages quelconques». Or on ne peut nier qu'un soutien politique, de la part d'un haut dirigeant patronal, et en faveur d'un candidat aux élections municipales, constitue un avantage certain.
Et donc, si M. Deljarry avait soutenu politiquement M. Saurel en
raison de la faveur obtenue dans la réforme du PLU de 2006, il y
aurait eu un soupçon de corruption. Le risque est bien entendu à
relativiser, car le clientélisme n'est malheureusement pas si
rare, et surtout il est très difficile de prouver que le soutien
politique est motivé par l'avantage obtenu (il est possible en
effet que la personne ayant bénéficié d'un avantage ait réellement
une bonne opinion de la personne qui le lui a accordé, et rien ne
lui interdit d'exprimer son opinion), surtout quand huit ans se
sont écoulés entre temps.
M. Deljarry a donc choisi la stratégie juridiquement la moins
dangereuse en ne soutenant pas M. Saurel, et moralement on ne peut
que se réjouir que la chaîne du renvoi d'ascenseur clientéliste
ait été rompue: le clientélisme est un danger pour la démocratie.
Et ceci, quelles qu'aient été les motivations de M. Deljarry
lorsqu'il a soutenu M. Moure, adversaire de M. Saurel.
En conclusion
En résumé, on peut retenir que:
-
Contrairement à ce qu'affirme le président de la Métropole, le projet Oz n'a pas été réduit. Il fait toujours 350 hectares, à échelonner sur 20 ans, avec une première phase de 60 hectares dont 30 hectares imperméabilisés (non compris la gare de la Mogère, qui imperméabilise spécifiquement les zones inondables).
-
De la même façon, les déclarations de prudence du président de la Métropole à l'égard de la gare de la Mogère sont mensongères, au vu des décisions qu'il prend et qui engagent la Métropole pour son aménagement (avec notamment des accès routier et tramway vers la gare, ouvrages très coûteux).
-
En autorisant en 2006 la CCI à revendre à des fins de promotion immobilière les terrains de l'école Sup de Co Montpellier, l'adjoint à l'urbanisme d'alors, Philippe Saurel, lui a de fait octroyé un avantage significatif. Le reproche qu'il fait à son actuel président, André Deljarry, découle assurément du choix de ce dernier de soutenir son concurrent lors des dernières municipales. Choix qui n'est en définitive pas condamnable.
Épilogue
Signe que la brouille n'a pas été longue, Philippe Saurel a fait voter par le conseil de Métropole du 12 novembre 2015 une subvention de 100.000 € à l'école Sup de Co'. Il a précisé aux conseillers (notamment à Isabelle Touzard, la maire de Murviel-lès-Montpellier, qui s'interrogeait) que c'est une subvention régulière de 50.000 € par an mais qu'elle n'avait pas été versée en 2014. Pour cause de brouille avec André Deljarry?
Le retour de cette petite subvention, et la nouvelle grosse faveur urbanistique que Philippe Saurel se dit prêt à accorder à Sup de Co' pour faciliter son déménagement, montre que la brouille est bien terminée. Elle ne fait cependant pas disparaître, tout au contraire, les suspicions de conflits d'intérêts et de renvois d'ascenseur: le PLU ne devrait pas avoir pour but de permettre à l'école de valoriser son ancien terrain.
Cette brève dispute entre des personnalités publiques illustre les conditions dans lesquelles se décident les aménagements à Montpellier. Il est difficile de distinguer le sens de l’intérêt général, sauf à considérer qu'il est confondu avec l'intérêt politique personnel du maire et président de la Métropole. Au-delà de la contradiction entre ce mélange des genres et le discours de rupture de l'actuel maire-président, ceci renforce la conviction que la gare de la Mogère est décidée pour des motifs forts éloignés de l'intérêt des voyageurs et des contribuables locaux.
Michel Julier, le 29 novembre 2015