Montpellier, surdouée de la rétention des documents administratifs?
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9 janvier 2017 |
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La sortie du rapport 2015 de la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs) montre que Montpellier continue à refuser la communication de documents administratifs aux citoyens, malgré les engagements pris par Philippe Saurel avec la «Charte Anticor».
L'accès aux documents administratifs: une question cruciale
Les citoyens souhaitant participer aux décisions en matière de
grands projets ont besoin d'accéder à des documents
administratifs: description et justification officielle des
projets, décisions administratives,... Mais c'est souvent très
difficile.
La question est d'autant plus cruciale que les projets sont «saucissonnés», c'est-à-dire découpés en de multiples projets liés, présentés mensongèrement comme des projets indépendants: cette pratique est illégale selon la loi française (qui s'en accommode pourtant souvent), et plus encore selon la loi européenne (qui est plus stricte, mais dont l'action est très lente).
Ce problème est directement à l'origine de la création de l'onglet «Documents» de ce site: certains
documents ont beau être présentés au public lors des enquêtes
publiques obligatoires, ils ne sont disponibles que pendant un
mois, en format papier à consulter sur place. Il est du coup
facile aux maîtres d'ouvrage de déformer les informations qu'ils
contenaient, lorsque les documents sont cités, quelques années
plus tard, à l'occasion d'une nouvelle tranche de saucissonnage.
Et bien souvent, les documents ne sont même jamais présentés au
public. Dans certains cas, la volonté d'obstruction est explicite
et scandaleuse: c'est ainsi, en
novembre 2015, qu'un service du Ministère de l'économie (la
maPPP) nous refusait explicitement un document, pourtant
communicable, au motif que les délais de recours contentieux
n'étaient pas encore passés!
Lorsqu'une administration prend des décisions illégales, elle a tout intérêt à ne communiquer aucun document: ainsi, non seulement les citoyens risquent d'ignorer leur décision, mais surtout ils ne peuvent pas l'attaquer devant la justice administrative, puisque pour cela il est obligatoire de joindre une copie de la décision attaquée. C'est ainsi que Georges Frêche avait instauré la règle de ne jamais rien transmettre; or cette tradition a été poursuivie par l'Agglomération puis par la Métropole de Montpellier, bien après la mort de Georges Frêche.
Une illustration de cette politique est donnée par le fait que, lors des enquêtes publiques, la Métropole de Montpellier ne propose jamais les documents officiels en téléchargement par internet. Alors que, dans beaucoup d'agglomérations, n'importe quel projet important est accompagné d'un site internet où l'on peut télécharger les documents officiels au format PDF, ce n'est jamais le cas à Montpellier. À la place, les documents ne sont présentés qu'en version papier, et les demandes de communication au format électronique sont refusées (y compris lorsque la loi l'exige). Dans un seul cas, un site internet a proposé les documents d'une enquête publique: c'était pour la création de la ligne 5 de tramway (actuellement abandonnée, sauf le tronçon central qui correspond au bouclage de la ligne 4 autour du centre-ville), mais sous une forme à consulter en ligne et impossible à télécharger (heureusement, une copie a pourtant pu en être conservée à cette adresse).
En 2014, Philippe Saurel, qui était candidat à la mairie de
Montpellier (à l'époque, il devait ne pas présider
l'Agglomération, et refuser la transformation de l'Agglomération
en Métropole), avait signé la charte
Anticor (proposée par l'association Anticor,
«anti-corruption»), qui incluait un chapitre sur la transparence.
On n'en voit pas les effets sur l'accès aux documents
administratifs.
Les constats généraux de la CADA
La Commission d'Accès aux Documents Administratifs (CADA) indique dans son rapport 2015 que le nombre de saisines a fortement augmenté. Une raison est que les citoyens demandent de plus en plus de transparence, sur des données les concernant comme sur les décisions publiques: il n'y aura surement pas de retour en arrière sur ce point.
Mais une autre raison est que les administrations n'en font pas
assez pour rendre accessibles les documents qui méritent de
l'être. Notamment, certaines administrations ont pour stratégie
d'attendre que le citoyen saisisse la CADA (c'est-à-dire de
refuser les demandes des citoyens sans même leur répondre), pour
ensuite se plier à l'avis de celle-ci. On reconnaît bien ici le
comportement de la Métropole de Montpellier, et voici ce qu'en dit
la CADA: «Une telle attitude ne peut être acceptée : la CADA,
malgré tous ses efforts, ne pourra jamais suppléer
l’inertie de certaines administrations» (la CADA
évoque ici des demandes particulièrement complexes, par exemple à
cause de la quantité de documents demandés ou du travail
nécessaire d'anonymisation).
Or c'est à peu près le comportement que revendique Philippe Saurel (et pas uniquement pour les demandes complexes), qui n'a retenu que la dernière phrase du chapitre «transparence» de la charte Anticor: «Le candidat signataire s'engage à suivre sans délai les avis de la Commission d'accès aux documents administratifs». La saisine de la CADA, qui ne devait être qu'un organe de gestion de conflits, devient alors un filtre obligé pour toute transmission de document. Cette stratégie permet à la Métropole de retarder d'au moins 6 mois la transmission des documents et de décourager beaucoup de demandes. De plus, lorsque la CADA rend un avis favorable à la transmission d'un document, la Métropole ne transmet parfois qu'une fraction du document demandé.
Montpellier, surdouée de l'opacité?
Depuis 2013, la CADA indique le nom des administrations ayant fait l'objet d'un grand nombre de saisines. On y trouve les finances publiques, les ministères de l'intérieur ou de la justice, les hôpitaux, les préfectures,...
Mais si on se limite aux collectivités territoriales, il est frappant de voir que la mairie et l'agglomération de Montpellier arrivent en tête du classement:
Année 2013 |
Année 2014 |
Année 2015 |
Mairie de Paris (40 affaires) |
Mairie de Paris (37 affaires) |
Mairie de Paris |
Mairie de Ressons-le-Long (22 affaires) |
Communauté d'agglomération
de Montpellier (16 affaires*) |
Communauté d'agglomération de Montpellier |
Mairie de Villeneuve-Saint-Georges (22 affaires) |
Mairie de Rueil-Malmaison (13 affaires) |
Mairie de Rueil-Malmaison |
Mairie de Montpellier (16 affaires) |
* dont 1 concernant la gare de la Mogère | |
Mairie de Fontainebleau (10 affaires) |
||
Mairie de Grenoble (10 affaires) |
Est-ce donc les citoyens de Montpellier sont plus demandeurs de
transparence ou plus procéduriers que d'autres?
Ou bien que la Ville et la Métropole de Montpellier ne leur
communiquent jamais rien?
Ou encore que, face à ce constat, les citoyens ont pris l'habitude
de saisir la CADA?
Cette dernière hypothèse est ce que l'on peut comprendre à la
lecture de l'avis n°20133134 de la CADA (26/09/2013),
concernant justement la gare de la Mogère. Comme elle le fait pour
certains avis présentant un intérêt général, la CADA l'a mis en
ligne.
Malgré l'anonymisation du demandeur, beaucoup de lecteurs
reconnaîtront le média dont il s'agit: un site internet local
d'investigation, d'une rare tenacité. La CADA avait reconnu le
bien-fondé de la demande, et donc le tort qu'avait eu
l'Agglomération de Montpellier de refuser de transmettre les
documents demandés. Mais elle avait ajouté la mention suivante:
«La commission, qui prend note des nombreuses demandes que M. XXX lui a adressées invite toutefois celui-ci à faire preuve de modération dans l’exercice du droit d’accès prévu par la loi du 17 juillet 1978, et rappelle que l’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes présentant un caractère abusif.»
Ce qui place le citoyen dans une situation kafkaïenne: si
l'administration ne transmet aucun document, et impose la saisine
de la CADA comme préalable, quel autre recours a le citoyen que de
multiplier les lettres recommandées et les saisines de la CADA, au
point de risquer une condamnation pour demandes abusives?
Des demandes nombreuses dans le Languedoc-Roussillon
Avant 2013, les rapports ne donnaient pas la liste des administrations les plus mises en cause dans les saisines de la CADA, mais on y trouvait des statistiques concernant la région de résidence (ou de siège) des demandeurs. Si on rapporte le pourcentage d'affaires issues de chaque région au pourcentage que représente la région dans la population française, on constate que certaines régions sont particulièrement concernées (valeur nettement supérieure à 1), et ceci au fil des années:
2004 |
2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | |
Alsace | 0.7 | 0.6 | 0.7 | 0.8 | 1.2 | 2.0 | 0.7 | 0.7 | 0.8 |
Aquitaine | 0.7 | 0.7 | 0.8 | 0.9 | 0.9 | 1.0 | 0.9 | 0.8 | 0.8 |
Auvergne | 1.0 | 0.9 | 0.8 | 0.5 | 0.6 | 0.8 | 1.0 | 0.6 | 0.9 |
Basse-Normandie | 0.7 | 0.6 | 0.7 | 0.8 | 1.0 | 0.9 | 0.6 | 0.8 | 0.8 |
Bourgogne | 0.6 | 1.0 | 1.0 | 0.8 | 0.7 | 0.8 | 0.7 | 0.6 | 0.7 |
Bretagne | 0.5 | 0.7 | 0.6 | 0.6 | 0.5 | 0.7 | 0.6 | 0.6 | 0.6 |
Centre | 0.6 | 0.9 | 0.5 | 0.6 | 0.6 | 0.6 | 0.6 | 0.6 | 0.6 |
Champagne-Ardenne | 0.6 | 0.4 | 0.5 | 0.5 | 0.5 | 0.6 | 0.4 | 0.5 | 0.2 |
Corse | 2.8 | 2.5 | 3.0 | 2.3 | 1.8 | 1.3 | 2.0 | 1.8 | 0.5 |
Franche-Comté | 0.6 | 0.6 | 0.6 | 0.4 | 0.3 | 0.6 | 0.6 | 0.5 | 0.8 |
Haute-Normandie | 0.3 | 0.4 | 0.3 | 0.3 | 0.3 | 0.5 | 0.6 | 0.5 | 0.5 |
Ile-de-France | 2.0 | 1.8 | 2.0 | 2.0 | 1.9 | 1.6 | 1.7 | 1.8 | 1.7 |
Languedoc-Roussillon | 1.9 | 2.3 | 2.4 | 1.9 | 2.2 | 2.6 | 2.1 | 2.1 | 1.9 |
Limousin | 0.6 | 0.7 | 0.8 | 0.7 | 0.5 | 0.5 | 0.3 | 0.6 | 0.5 |
Lorraine | 0.5 | 0.6 | 0.6 | 0.4 | 0.5 | 0.6 | 0.7 | 0.8 | 0.9 |
Midi-Pyrénées | 1.2 | 1.1 | 1.2 | 1.0 | 1.4 | 1.2 | 1.1 | 1.0 | 1.2 |
Nord-Pas-de-Calais | 0.6 | 0.6 | 0.6 | 0.7 | 0.4 | 0.5 | 0.4 | 0.7 | 0.6 |
Pays de la Loire | 0.5 | 0.4 | 0.5 | 0.5 | 0.4 | 0.4 | 0.5 | 0.4 | 0.4 |
Picardie | 0.6 | 0.5 | 0.5 | 0.5 | 0.5 | 0.4 | 0.6 | 0.8 | 0.8 |
Poitou-Charentes | 0.4 | 0.5 | 0.5 | 0.5 | 0.6 | 0.6 | 0.6 | 0.6 | 0.8 |
Provence-Alpes-Côte-d’Azur | 1.9 | 1.8 | 1.6 | 1.8 | 1.1 | 1.0 | 1.6 | 1.1 | 1.3 |
Rhône-Alpes | 0.9 | 0.9 | 0.7 | 0.8 | 0.9 | 0.9 | 0.9 | 0.8 | 0.7 |
DOM-TOM | 0.7 | 0.5 | 0.4 | 0.4 | 0.6 | 0.7 | 0.7 | 0.8 | 1.0 |
De façon troublante, le Languedoc-Roussillon se distingue par des taux particulièrement élevés de saisines de la CADA, de façon assez constante au fil des années. Parmi les autres régions ayant des taux élevés, on trouve:
- l'Ile-de-France, ce que la CADA explique des facteurs sociologiques comme le niveau d'études supérieur
- la région PACA, avec toutefois un tassement
- le cas de la Corse est peu significatif vu la faible
population
Dans son rapport 2012, la CADA s'étonne de la présence importante du Languedoc-Roussillon. Pour 2011, elle citait la présence d'associations actives dans la protection de l'environnement, dont l'une ayant déposé 26 demandes en une seule année.
Concernant le nombre de demandes déposées, la CADA indique
qu'elle a quelques «abonnés», dont des particuliers pouvant
déposer plusieurs demandes par an, mais les demandes vraiment
massives (parfois plus de 100 demandes en une année) proviennent
de cabinets d'avocats spécialisés, de syndicats, de gestionnaires
de bases de données ou d'entreprises de conseil. Une association
liée à l'Église de scientologie «spamme» également la CADA chaque
année.
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